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Le sacrifice et le Temple I

Dernière mise à jour : 28 oct.

Nous avons commencé à lire l'érudit article de Naphtali Meshel, "Sacrifice and the Temple[1]". Meshel y présente les différentes pratiques de sacrifices à l'époque hérodienne du Second Temple, et leur relation aux Ecritures juives et chrétiennes. C'est un sujet terrible, qui invoque la réalité du sang, de la mort et du sacré.

 

Un souvenir s'impose. A l'époque, je suivais les excellents cours du rabbin Marcel Zemour, à Antibes. Une conversation avec lui m'avait pourtant ennuyé : il croyait en la reconstruction du Temple à Jérusalem (au Mont du Temple), et je lui avais demandé si les sacrifices devraient y reprendre. Les yeux dans les yeux, il m'avait répondu "oui". Je n'ai jamais vraiment accepté ce point de vue : les sacrifices au Temple m'ont toujours paru comme des rites barbares, archaïques, dépassant la עֹלָה, l'holocauste de Isaac ou le διάσπαραγμός, le diasparagmos de Penthée que par le remplacement de l'humain par l'animal. Faire de l'aspersion de sang et de la combustion de viande au nom de Dieu un spectacle me semblait une cruauté pure et simple envers les animaux, et j'ai trouvé chez Osée et d'autres des appuis pour penser que ces rituels étaient tout simplement dépassés :

« Car je désire la miséricorde, non le sacrifice, et la connaissance de Dieu, plus que les holocaustes » (Osée 6).


Il est temps maintenant de retravailler ce problème. D'abord en réexaminant mon jugement sur l'attitude fondamentale du Temple envers les animaux (I), puis en cherchant comment cela peut contribuer à donner une orientation morale au problème du traitement des animaux que nous mangeons (II).

 

Les occasions de sacrifice étaient nombreuses à la fin de la période du Second Temple (disons à l'époque de Jésus). L'un des sacrifices majeurs -peut-être le plus fréquent, il est difficile de le savoir- était le זֶבַח שֶׁ֫לֶם, le zevach' shelem, l'offrande de paix ou de bien-être. Il s'agissait d'égorger l'animal, de répandre son sang sur l'autel, de réserver une petite partie pour Dieu et pour les prêtres (comme une sorte de taxe), et de retourner la quasi-totalité de l'animal sacrifié à celui qui offrait le sacrifice.

 

On pourrait considérer ce sacrifice (on ne s'intéresse ici qu'au sacrifice animal, c'est le plus problématique à notre époque qui se veut "verte") comme équitable : les sacrifices complets (holocaustes) sont réservés aux cas exceptionnels, et on estime qu'un paiement sous forme de portion raisonnable donnée à Dieu et aux prêtres peut déboucher sur une situation équilibrée où l'animal n'est pas sacrifié en vain mais exécuté sous forme rituelle pour être consommé par les familles : une שחיט, sh'khita, un abattage annonçant le quotidien de la kasherout moderne de la vie juive, en un lieu plus cérémoniel.

 

Peut-être que les nombreuses protestations de Dieu comme dans Osée portent sur un déséquilibre -auquel renvoie le renversement des tables des marchands par Jésus. Nous pouvons imaginer une situation où les prêtres étaient devenus trop voraces, où les animaux étaient sacrifiés en vain (déconnectés d'une consommation raisonnable), où les familles subissaient une culpabilisation écrasante donnant le sacrifice intégral comme seul remède à des cas toujours plus nombreux d'impureté, d'une pression fiscale et idéologique conjointe de l'autorité romaine et religieuse…

 

En suivant cette hypothèse, on peut ainsi plus facilement comprendre Jésus, Osée, Isaïe et les autres : ils ne souhaitent pas la destruction du Temple et/ou un arrêt des sacrifices, mais une priorité donnée au cœur, centre de l'être (la miséricorde, la mesure de la distance entre Dieu, nous et notre prochain) sur les yeux et l'estomac (l'application corrompue d'une loi publique qui mène au dérèglement des sens).

 

Aucune abolition, mais la confirmation du sacrifice au Temple comme de la religion personnelle, à travers une re-priorisation conforme à l'esprit biblique et à la volonté divine.


C.


[1] Dans The Jewish Annotated New Testament, Oxford University Press, 2017.

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