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Tous contre Job - Une lecture très littérale.

NB. : Nous parlerons ici de Dieu comme s'il était le personnage du livre, non pas comme Dieu en Lui-même. Nous "psychologisons" ainsi consciemment la figure de Dieu.

 

Le Livre de Job est énigmatique, laissant un goût d'irrésolution sombre et de profondeur théologique indomptable. Que cette obscurité soit teintée d'ironie tragique ajoute à l'obscurité dans laquelle l'attitude de Dieu ne cesse de surprendre.


Commençons par observer la structuration du livre en suivant les interventions de Dieu :

A1 – Première intervention de Dieu au Ciel (Chap. 1 et 2) : ordre de persécution via l'influence de Satan, le ministre méchant dont on trouvera un avatar dans le Haman d’Esther.

B1 - Première intervention de Dieu sur terre : déchaînement de violence verbale, en écrasant Job de toute sa puissance (tandis que Job, ayant tout perdu, n’a fait que clamer son innocence et sa faiblesse. La complainte d’abandon « Je crie vers toi, et tu ne me réponds pas; je me tiens là, et tu me regardes fixement. » (30:20) est très proche de celle de Jésus : Eli, Eli, Lama Sabachtani).

B2 - Deuxième intervention de Dieu sur terre : condamner les amis de Job (pour avoir mal parlé de Job, que Dieu/Satan persécutait !) à faire un sacrifice (7 bœufs + 7 béliers). Ce nombre est équivalent à celui du sacrifice habituel de Job au début du livre, en faveur de ses enfants (7 + 7 garçons !) déjà pleinement adultes, pour les péchés qu'ils auraient pu commettre (souscription d’assurance scrupuleuse, peut-être de "pharisien" !).

A2 – Deuxième intervention de Dieu au Ciel : rétablissement de la situation de Job avec un "bonus" (bonus au nombre 7 + 7 pour les garçons, bonus à la beauté pour les filles).

 


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William Blake, Job Rebuked by His Friends, 1825


Clairement, Dieu apparaît comme un père ou un juge faillible :

Il permet la persécution de son fils très honnête (ou pire, il délègue la persécution à Satan).

Il semble ne s’intéresser qu’à sa réputation et à éviter l’humiliation publique de devoir reconnaître que Job a été persécuté… pour rien.

Il écrase Job de toute sa mauvaise foi lorsque Job ose clamer son innocence (la question de Job est un simple « Qu’ai-je fait pour mériter cela ? », la réponse de Dieu est « Pour qui te prends-tu ? »).

 

Il projette sa mauvaise foi sur les amis de Job (les « pharisiens », rivalisant d'explications légalistes sur la situation de Job) et leur donne pour punition de faire le sacrifice que Job faisait autrefois sans avoir commis aucune faute – décidément, il ne semble pas comprendre lui-même ce qu'il veut en termes de sacrifice.

Il donne à Job une double ration en nombre de fils et une double ration en beauté de filles, comme si cela pouvait remplacer la perte des enfants assassinés par Satan sous son autorité.

Il empêche Job, par cette substitution même, d'être une victime. Il se décharge ainsi de la culpabilité de toute cette affaire.

 

Il n'est pas étonnant que Job, devant le piètre travail de ses amis et de Dieu lui-même (Job fait face à une meute : Satan, Dieu les « amis », tous accablent, l’accusent), puisse se mettre à réclamer un véritable Consolateur, un Défenseur, un Paraclet, celui que Jésus a promis de nous envoyer. Le problème est que si ce Paraclet peut être vu comme le contraire de Satan, comme notre Ange de Justice, comment Dieu pourrait-il tenir un rôle de juge impartial – alors  qu’il a déjà condamné Job de la manière la plus cruelle et la plus corrompue ? Ou alors est-ce Dieu qui, de Roi des Cieux influençable et fatigué, doit se transformer en Dieu de justice : une justice lisible et équitable ? Nous ne sommes pas si loin de considérations gnostiques sur la structure de la Création et sur la place de l’homme dans le projet divin.


Lisons maintenant à la manière de René Girard : visiblement, il y a de l'animation dans la Cour céleste. Satan, comprenant que la circonstance exige un sacrifice pour apaiser les conflits entre les anges de lumière et les anges de ténèbres, doit choisir un bouc émissaire. Il choisit Job. Tout se passe à merveille, Dieu laisse Satan jeter les premières pierres, les amis de Job poursuivent le malheureux et Dieu l'accuse à son tour. Tout est prêt pour que le lecteur voie en Satan un serviteur de la justice divine, en Job un traître coupable à la cause divine qui utilise ses richesses et son bonheur pour tromper Dieu, et en Dieu un bon juge et un bon père de famille. Oui… mais NON !, car le livre nous montre que Job et ses enfants sont innocents, nous montre que les amis de Job, Satan et Dieu Lui-même sont les vrais coupables, et nous montre le véritable mécanisme de l’excitation mimétique et de la violence. Le livre, en mettant en avant un Job résistant de la façon la plus héroïque contre l’apparente injustice céleste et terrestre, questionne la nature de la justice divine elle-même : elle ne pas avoir la même structure ou la même lisibilité que telle ou telle justice humaine, elle ne peut pas être complètement détachée de sa vocation humaine.


Il est absolument miraculeux qu’un tel livre ait pu intégrer le canon biblique, ou plutôt : Job (et des livres comme Jonas ou l’Ecclésiaste, ou même les Évangiles) est la preuve que la Bible est porteuse de vérité, aussi difficile soit-elle parfois à accepter ou à comprendre pleinement.

C.

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